Suite narrative d'un "Nez au vent"
La traversée du détroit de Gibraltar ne dure qu'une heure et quelques.
C'est le moment de savourer ou supporter ce mélange d'effluves de mazout lourd qui fait avancer les bateaux (avant qu'il ne redeviennent à voiles), le gasoil qui fume dans les pots des 35 tonnes qui embarquent dans la soute, les voitures et camionnettes qui exhalent le parfum raffiné des raffineries de Super sans plomb.
Le tout confiné dans une cale dont les lourdes portes se referment et annoncent le départ.
Est ce la graisse qui oint tout ? le bitume qui entoure les conduites ? les traces d'huile qui rendent glissantes les tôles du plancher ?
Est ce le mélange de toutes ces évaporations qui rendent familière l'ambiance odorante de n'importe quel Ferry au monde ?
C'est en tous cas une Madeleine que je pourrais gouter et reconnaitre les yeux fermés.
Sur le deck, selon le vent, la mer est partout et aussi dans nos narines. De la cheminée sort le produit sombre de la combustion des lourds pistons qui font tourner les machines. Les lentes vibrations se propagent dans la coque, les planchers pour terminer dans la mousse des hélices qui attirent les mouettes.
L'odeur du port est d'un tout autre genre. Il est fait du gout de la liberté retrouvée, de l'air fait de terres inconnues et de l'haleine chargée des douaniers scrupuleux.
Tanger sent-il ?
L'air de Tanger est encore respirable dans la Medina. Pas de voitures. Que des gens affairés, des cris, des arranges de vendeurs de fruits et légumes. Seulement quelques Mobylettes essoufflées.
Les cités à Souks sentent.
Le Souk est un éventail dont chaque pli est un fragment d'orient.
Il suffit de l'agiter pour vagabonder à l'aveugle au coeur d'un voyage.
Epices, cuirs, fumées, grillades, oranges pressées, poussière, menthe, graisses, parfums de contrebande, acier rouillé et encore d'autres relents parfois moins communs ou agréables.
Difficile ne pas être dans le cliché du Souk qui sent le P20 à plein tubes, la carte postale qui sent la poussière et le moisi.
Le désert ne sent presque rien.
La silice gratte mais sent peu. Le vent chaud porte nos fantasmes de solitude choisie mais point d'odeur à l'horizon brumeux.
Le chameau pue et à de très longues distances on peut déceler sa présence au musc de son poil ocre.
Parfois la concentration de chèvres apporte son lot de relents évocateurs.
La montagne peut être parfumée.
Entre Aghbar et Asni, la route monte à plus de 2500m.d'altitude. Ait Baha en est le sommet. Posé sur cette pointe, l'hôtel Bellevue, le bien nommé. La pente est relativement douce car elle fait dans les 30 km. À la beauté du paysage s'ajoute dès les premiers hectomètres un parfum délicieux. Cette fragrance vient d'un buisson un peu collant au touché, très vert qui parsème la montée et disparaît dès que l'on entame la descente.
Il doit s'agir d'une théorie de flanc.
Une vallée qui sent.
De Beni Mellal à Arzou on traverse des plantations d'oliviers.
Alignés sur des dizaines de kilomètres les arbres courts dont les feuilles bruissent au vent attendent patiemment l'heure de la récolte. Curieusement, il faut quelques minutes pour identifier l'odeur du fruit absent des arbres en cette saison.
Ce sont les " moulins à olives " qui répandent le relent un peu fétide du fruit. Ce n'est pas désagréable dès que l'on comprend que cette vallée est imprégnée jusqu'au noyau de cet or vert (ou noir selon les goûts).
Leur moitié n'a pas de visage
La moitié de ce pays nous est cachée.
Voilée.
Quel est ce monde qui divise l'humanité en deux ?
Rien que des yeux, et encore c'est parfois trop.
Pas de toilettes pour elles dans les cafés.
Les mâles choisissent les sous-vêtements dans les Souks.
Les femmes sont à la cueillette, l'homme est derrière le volant.
Cette moitié est juste autorisée à trimer.
A porter un autre mâle qui divisera encore la famille en deux.
Le travail et les portées les rendent difformes
C'est un rempart aux assauts de leur oppresseur.
A la sortie du Ferry c'est la Sète
A Sète et dans ses environs, il y a des genets et le plaisir de sentir le parfum de ces petits buissons jaunes est comme un message de bienvenue en France.
Un peu lourd, ce bouquet offert à notre descente de bateau compense la permanence humaine et un peu fétide d'un bateau rempli de voyageurs mâles. Maroc oblige.
Même s'il s'agit d'une modeste exploration, un tel voyage n'est jamais simple à vivre. Dix mille kilomètres partiellement vécus sous tente ne facilite pas les choses. A deux, c'est mieux pour le
partage des tâches et des dépenses. C'est plus risqué car, comme le disent les Bataves, : "vrienden zoals vis, blijven maar drie dagen fris". Avec J. les hollandais ont eu tort. Facile et
aimable, il est mon contraire. Mes choix furent les siens, son aide a profité à notre quiétude et s'il m'a fait croire que c'est moi qui menait la barque, à maintes reprises, il a orienté de
façon décisive notre sympathique périple .
Le Maroc est beau et grand.
Le marocain cache sa marocaine.
Ce fut la seule zone grise de ce très beau voyage.